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La police municipale : entre compétences élargies et cadre légal contraignant

Dernière mise à jour : 30 mai

Par Pole Justice et ordre public, Actualités juridiques des politiques publiques, Avril 2025


Les débats actuels sur la formation des policiers municipaux révèle une réalité juridique complexe : ces agents, dont les missions n'ont cessé de s'élargir depuis deux décennies, doivent naviguer dans un environnement normatif particulièrement contraignant. La distinction fondamentale entre constatation et recherche d'infraction, l'articulation délicate entre pouvoir de police administrative et judiciaire, ou encore le cadre strict du recours à la force, constituent autant de défis juridiques quotidiens que ces acteurs de la sécurité locale doivent maîtriser. Comment le cadre légal de la police municipale s'est-il construit, et quels sont les enjeux juridiques actuels pour ces forces de l'ordre d'un genre particulier ?

Une construction juridique progressive : de l'agent de stationnement à l'acteur central de la sécurité quotidienne

La police municipale française a connu une mutation juridique profonde depuis les lois de décentralisation. La loi n° 99-291 du 15 avril 1999 relative aux polices municipales, première grande loi-cadre consacrée à cette institution, a constitué un tournant majeur en définissant précisément leurs missions et prérogatives. Comme le souligne Jean-Marc Berlière, historien spécialiste des questions de police, "les polices municipales ont longtemps souffert d'un déficit de légitimité institutionnelle que la loi de 1999 a tenté de combler en fixant un cadre national" (Revue française d'administration publique, 2009/1, n° 129, p. 122).

Cette reconnaissance s'est accompagnée d'un encadrement juridique strict. L'article L.511-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI) définit ainsi les policiers municipaux comme des "agents de police judiciaire adjoints" disposant de prérogatives limitées. La jurisprudence a régulièrement rappelé ces limites, notamment dans l'arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, du 11 décembre 2013 (pourvoi n° 12-83.296), précisant que "les agents de police municipale ne disposent pas d'un pouvoir général d'investigation ou d'enquête".

Le législateur a néanmoins procédé à un élargissement progressif des compétences des polices municipales. La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure leur a ainsi octroyé la possibilité de procéder à des contrôles d'identité sous certaines conditions (article 78-6 du Code de procédure pénale). La loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a encore étendu leurs prérogatives, notamment en matière d'inspection visuelle des bagages et de fouille des véhicules (article L.511-1 du CSI).

Plus récemment, la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés a franchi une nouvelle étape en permettant aux policiers municipaux, à titre expérimental et sous conditions strictes, de constater certains délits (article 1er de la loi). Cette évolution progressive traduit ce que le professeur Jacques Fialaire qualifie de "transfert progressif de compétences étatiques vers les collectivités territoriales en matière de sécurité publique, sans remise en cause formelle du monopole régalien" (Revue française de droit administratif, 2016, p. 417).

Parallèlement à cet élargissement des compétences, le cadre de l'usage de la force par les policiers municipaux s'est également précisé. L'article R.511-23 du CSI dispose que "dans l'exercice de leurs fonctions, les agents de police municipale peuvent faire usage de leurs armes dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L.435-1 du présent code", renvoyant ainsi aux mêmes règles que celles applicables aux forces de police nationale, tout en maintenant d'importantes différences d'armement selon les communes.

Des questions juridiques complexes et des zones d'ombre persistantes

L'encadrement juridique de l'action des policiers municipaux soulève plusieurs questions fondamentales et révèle certaines contradictions ou zones d'ombre dans le dispositif actuel.

La première question concerne la distinction, évoquée par le formateur Mohamed Abdellaoui, entre constatation et recherche d'infractions. Si l'article 21 du Code de procédure pénale confère aux agents de police municipale la qualité d'agents de police judiciaire adjoints et les habilite à "constater par procès-verbaux les contraventions" aux arrêtés municipaux et à certaines dispositions du Code de la route, la frontière avec la "recherche d'infractions" reste souvent ténue dans la pratique.

Comme l'analyse Virginie Gautron, "la distinction entre constatation et recherche d'infraction, fondamentale en droit, se révèle particulièrement difficile à mettre en œuvre sur le terrain" (Déviance et Société, 2010/1, Vol. 34, p. 99). En effet, lorsqu'un agent de police municipale décide de contrôler un véhicule après avoir observé un comportement suspect, la qualification juridique de son action – constatation ou recherche – peut s'avérer ambiguë. La Cour de cassation a pu préciser cette distinction dans son arrêt du 8 janvier 2013 (Crim., n° 12-80.465), en considérant qu'un "contrôle d'identité effectué par un policier municipal dans le cadre d'une constatation d'infraction est régulier dès lors que cette constatation est intervenue incidemment, sans que l'agent ait procédé à des actes d'investigation préalables".

Une deuxième question fondamentale concerne l'articulation entre police administrative et police judiciaire. La nature hybride des missions confiées aux policiers municipaux, relevant tantôt de la police administrative (prévention des troubles à l'ordre public), tantôt de la police judiciaire (constatation des infractions), crée une ambiguïté juridique. Comme le souligne le professeur Jean-Charles Froment, "le policier municipal est pris dans un entre-deux hiérarchique qui peut générer des tensions en pratique entre les instructions du maire et celles du procureur" (Les Cahiers de la sécurité, 2013, n° 26, p. 147).

Cette dualité se traduit par des régimes juridiques différents selon la nature de l'action. Ainsi, dans son arrêt du 16 novembre 2015 (n° 14LY03771), la Cour administrative d'appel de Lyon a jugé que "les mesures de surveillance générale de la voie publique relèvent de la police administrative et engagent donc la responsabilité de la commune, tandis que les actions accomplies dans le cadre d'une mission de police judiciaire engagent la responsabilité de l'État".

Une troisième question juridique majeure concerne l'encadrement du recours à la force. Si l'article R.511-18 du CSI prévoit que les agents de police municipale peuvent être autorisés à porter des armes, les conditions de leur usage restent strictement encadrées. La jurisprudence a régulièrement rappelé le principe de proportionnalité applicable au recours à la force. Dans un arrêt du 23 février 2010 (n° 09-81.929), la Cour de cassation a ainsi condamné un policier municipal pour violences volontaires, considérant que "l'usage de la force n'était pas strictement nécessaire au regard du comportement de la personne interpellée".

Ce cadre juridique strict explique pourquoi la formation évoquée à Aix-en-Provence accorde une importance particulière à ce que les stagiaires aient "parfaitement intégré le cadre du recours à la force et à la privation de liberté". Comme le rappelle Olivier Renaudie, "la légitimité des polices municipales est largement conditionnée par leur capacité à respecter les limites fixées par le droit, notamment en matière de recours à la force" (Revue du droit public, 2013, n° 5, p. 1199).

Des conséquences concrètes pour les différents acteurs

Les enjeux juridiques identifiés ont des implications pratiques considérables pour l'ensemble des parties prenantes.

Pour les policiers municipaux eux-mêmes, la complexité du cadre juridique se traduit par un risque accru d'invalidation des procédures. Comme l'illustre l'exemple cité par le formateur Mohamed Abdellaoui, une simple erreur de rédaction dans un procès-verbal ("nous arrêtons l'automobiliste et constatons l'absence de ceinture de sécurité") peut entraîner la nullité de toute la procédure. La Cour de cassation a régulièrement sanctionné de tels vices de forme, notamment dans son arrêt du 10 janvier 2017 (Crim., n° 16-84.740), où elle a jugé que "l'irrégularité affectant un acte de procédure établi par un agent de police judiciaire adjoint peut entraîner la nullité de la procédure subséquente si elle a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne".

Cette exigence de rigueur procédurale explique pourquoi la formation initiale d'application de six mois est aujourd'hui considérée comme le minimum incompressible. Comme le souligne Virginie Malochet, sociologue spécialiste des questions de sécurité, "la professionnalisation des policiers municipaux passe nécessairement par une formation juridique solide, leur permettant de faire face à la complexité croissante de leur environnement normatif" (Déviance et Société, 2007/4, Vol. 31, p. 501).

Pour les maires et les communes, employeurs des policiers municipaux, ces enjeux juridiques se traduisent par une responsabilité accrue. La jurisprudence administrative a régulièrement rappelé que "le maire, en tant qu'autorité de police administrative, est responsable des actions de ses agents dans l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre public" (CAA Marseille, 7 décembre 2018, n° 17MA02116). Cette responsabilité explique l'intérêt croissant des élus locaux pour une formation juridique solide de leurs agents.

L'hétérogénéité des missions confiées aux policiers municipaux selon la taille des communes, évoquée par le stagiaire Florent, trouve également une traduction juridique. Le Conseil d'État, dans son arrêt du 28 novembre 2018 (n° 413839), a reconnu que "si les missions des policiers municipaux sont définies de façon uniforme par le législateur, leurs modalités d'exercice peuvent être adaptées aux spécificités locales, dans les limites fixées par la loi".

Pour les citoyens, l'enjeu est celui de la prévisibilité et de la lisibilité de l'action des polices municipales. Comme le souligne Xavier Latour, "la diversité des configurations locales des polices municipales peut générer une certaine forme d'insécurité juridique pour l'usager" (Actualité juridique Collectivités territoriales, 2019, p. 128).

Pour l'État enfin, l'enjeu est celui du maintien d'une cohérence nationale dans un système de plus en plus décentralisé. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021 relative à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, a rappelé que "si le législateur peut confier à des autorités autres que judiciaires la constatation de certaines infractions, il ne saurait, sans méconnaître le principe de séparation des pouvoirs, leur attribuer des pouvoirs d'enquête générale" (considérant 7).

Perspectives d'évolution du cadre juridique

Face à ces enjeux, plusieurs évolutions législatives et jurisprudentielles se dessinent à l'horizon.

La proposition de loi n° 2618 "visant à renforcer l'efficacité des polices municipales", déposée le 21 janvier 2020 à l'Assemblée nationale mais n'ayant pas abouti, témoigne d'une volonté politique d'élargir encore les compétences des policiers municipaux. Les débats qu'elle a suscités illustrent les tensions persistantes entre partisans d'un renforcement des prérogatives des polices municipales et défenseurs d'une vision plus restrictive de leurs compétences.

Ce texte s'inscrivait dans la continuité du rapport parlementaire "D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale" remis par les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue au Premier ministre en septembre 2018, qui préconisait "une clarification et un élargissement des compétences des policiers municipaux pour une meilleure efficacité opérationnelle".

Sur le plan jurisprudentiel, plusieurs décisions récentes ont contribué à préciser les contours de l'action des policiers municipaux. La Cour de cassation, dans son arrêt du 9 mai 2019 (Crim., n° 18-82.885), a ainsi apporté d'importantes précisions sur la notion de "constatation d'infraction", en jugeant que "l'observation directe d'une infraction par un agent de police municipale, qui a conduit ce dernier à procéder à un contrôle d'identité puis à la découverte d'une nouvelle infraction, ne constitue pas un acte d'enquête excédant ses compétences".

Le Conseil d'État, dans sa décision du 24 juin 2020 (n° 430253), s'est également prononcé sur le régime d'autorisation préfectorale pour l'armement des polices municipales, considérant que "ce régime, qui vise à garantir la sécurité publique et celle des agents, ne porte pas une atteinte disproportionnée au principe de libre administration des collectivités territoriales".

À plus long terme, certains observateurs, comme Jean-Louis Loubet del Bayle, professeur émérite à l'Université Toulouse 1 Capitole, envisagent "une refonte plus globale de l'articulation entre police nationale et police municipale, qui pourrait s'inscrire dans un cadre plus large de réorganisation territoriale des forces de sécurité" (Les Cahiers de la sécurité et de la justice, 2016, n° 34, p. 32).

Une autre piste d'évolution concerne le développement d'une doctrine d'emploi plus formalisée des polices municipales. Comme le suggère Christian Mouhanna, "l'absence de doctrine nationale claire concernant les polices municipales contribue à l'hétérogénéité de leurs pratiques et crée un risque d'inégalité territoriale en matière de sécurité" (Droit et société, 2011/2, n° 78, p. 387).

L'évolution de la formation juridique des policiers municipaux constitue également un enjeu majeur. Si la formation initiale de six mois dispensée par le CNFPT, évoquée dans l'article, a permis une professionnalisation certaine de cette fonction, elle pourrait être amenée à évoluer pour s'adapter aux nouvelles compétences confiées à ces agents. Le rapport d'information sénatorial n° 782 (2017-2018) de François Grosdidier sur les polices municipales préconisait déjà "un renforcement des modules juridiques et procéduraux dans la formation initiale des policiers municipaux".

La formation des policiers municipaux au centre d'Aix-en-Provence révèle les défis juridiques considérables auxquels sont confrontés ces agents. À l'intersection du droit administratif et du droit pénal, leur action s'inscrit dans un cadre normatif complexe, en constante évolution. Comme le résume parfaitement Jacques de Maillard, "la police municipale se trouve aujourd'hui au cœur d'une tension juridique entre des compétences élargies et un cadre légal contraignant, tension qui reflète les hésitations persistantes quant à la place exacte de ces forces dans l'architecture sécuritaire française" (Revue française de science politique, 2017/3, Vol. 67, p. 569).

Face aux défis sécuritaires contemporains et aux attentes croissantes des citoyens, le cadre juridique des polices municipales continuera certainement d'évoluer dans les années à venir. L'enjeu sera de trouver un équilibre satisfaisant entre efficacité opérationnelle et rigueur juridique, entre autonomie locale et cohérence nationale, entre extension des compétences et clarté des prérogatives. C'est à cette condition que les policiers municipaux pourront pleinement assumer leur rôle d'acteurs de proximité dans le paysage sécuritaire français, sans se "tromper d'adresse", comme le rappelle judicieusement Marion Bozonnier.

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